Lumière sur le monde de Ștefan Moisei

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Ștefan Moisei ne voit pas la lumière du jour. Il voit cependant sa propre lumière dans laquelle les couleurs captent d’autres tonalités. Les tonalités de sa vie. Beaucoup d’entre nous oublient de profiter de la lumière, bien que nous voyions tous les jours. Il vit dans l’obscurité, une obscurité qui brille fort.

Notre collègue travaille dans l’équipe .NET et est un programmeur Internet .NET/C#. Il s’implique beaucoup dans le développement de logiciels et d’applications pour les personnes non voyantes et a déjà contribué de manière significative dans ce sens. A part la programmation, il a beaucoup de loisirs qui le maintiennent connecté : la lecture, le bowling et il suit un entrainement de Jujitsu. Il excelle également dans le sport. Cette année, au mois de mai, il est devenu le champion national en kata armé dans le cadre du championnat pour les personnes handicapées.

Afin de  mieux le connaître, j’ai posé à Ștefan quelques questions sur sa vie professionnelle et personnelle.

1. Parlez-nous un peu de votre vie. Comment êtes-vous arrivé à Tîrgu-Mureş ?

Je suis né à Brăila, je suis allé à l’école et au lycée à Buzău. Inspiré par un ami, j’ai décidé de devenir programmeur. Parce qu’aucune grande université ne m’a accepté, je suis venu à Tîrgu-Mures, où je n’ai eu de problème ni avec mon handicap, ni parce que je n’avais pas passé mon examen de maths au bac.

2. C’est comment d’être programmeur avec des problèmes de vue dans cette petite ville de Transylvanie ?

L’ouverture que j’ai rencontrée en Transylvanie, même si je le savais déjà, a été très surprenante. Les collèges, de la faculté comme au travail, m’ont accepté sans problème et je me suis parfaitement intégré.  Je considère que la taille de Tîrgu-Mureş est parfaite, suffisamment grande pour tout trouver, et suffisamment petite pour ne pas faire plus d’une heure de route, comme dans d’autres villes où ma profession est recherchée.

3.Pourquoi avez-vous choisi cette carrière, celle de programmeur ?

La vérité est que je n’avais pas trop d’options. Cependant, l’ordinateur était l’une des rares choses qui me plaisait et la seule avec la perspective de gagner de l’argent. Comme je l’ai dit, le premier qui m’en a donné l’idée était un bon ami. Puis, après avoir appris d’autres métiers traditionnels correspondant à mon handicap (professeur, masseur, fabricant de brosses), j’ai décidé de faire mon choix.

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4.  Comment se sont passés les débuts ? Etait-il difficile d’apprendre ? Comment se sont passées les années dans votre école ?

Par «école» je suppose que vous voulez dire une faculté. La programmation n’a pas été difficile du tout, du fait qu’ils commencent de zéro, et très, très lentement, et moi, j’avais déjà des notions de programmation que j’avais acquises tout seul au lycée. Ce que j’ai appris de nouveau et d’utile a été le travail en équipe, une expérience que je n’avais pas eu jusque là et qui a été très importante pour travailler après l’obtention de mon diplôme.

La partie difficile a été les maths. J’avais été dans un lycée de sciences humaines où on n’y mettait pas beaucoup l’accent. J’ai eu de la chance avec mon père qui avait fait cette faculté et qui a pu m’aider, et avec mes professeurs qui m’ont permis de passer les examens dans l’écriture spéciale pour les aveugles, le braille, et ils m’ont fourni, quand ils étaient disponibles, les cours au format LaTeX afin que je puisse les lire. J’ai dû recopier de nombreux cours des collègues, le bruit de la machine à écrire rendant impossible son utilisation dans la salle de classe ou aux examens, où il a fallu que je sois dans une autre pièce. J’aurais pu les écrire sur ordinateur, mais je préfère écrire les maths d’une façon classique.

5. Comme se passe une journée de travail pour vous ?

C’est à peu près la même chose que pour les autres. J’évalue, je réalise mon travail ou j’étudie en fonction de ce qui doit être fait ce jour-là. J’ai un casque spécial – http://www.aftershokz.com/collections/all/products/sportz-m3, qui reste en face de l’oreille et qui utilise la conduction osseuse pour transmettre le son au tympan sans couvrir l’oreille, me permettant ainsi d’entendre d’autres collègues. Son mauvais côté c’est que vous ne pouvez plus l’entendre quand il y a du bruit dans le bureau et il faut alors utiliser un casque normal.

6. Vous avez eu, au cours des années, à lancer plusieurs projets. Parlez-nous-en un peu.

J’ai commencé avec Lumy, une start-up de Reea, une plate-forme qui offre des services de tests de sites. J’ai travaillé sur back-end pour des applications mobiles comme MusicQuiz, un jeu pour Windows Phone tel que „ Devinez la chanson”.

Aussi sur des applications desktop, telles que DMS, un système de gestion de documents, et La Guerre des Esprits, une application utilisée dans un concours télévisé.

En dehors des projets développés entièrement avec l’équipe .NET, j’ai collaboré avec d’autres équipes, comme avec celle travaillant en Java sur le framework Spring, où je me suis occupé essentiellement de la base de données.

7. Et maintenant sur quel projet personnel travaillez-vous ?

Après tant de pratique sur Windows, j’ai décidé de commencer un peu également Linux, et plus particulièrement la programmation intégrée « embedded ». J’ai reçu un Raspberry Pi et je joue avec. L’un de mes projets auquel je collabore est AfterSight – http://www.after-sight.com/after-sight-model-1/, un dispositif qui utilise plusieurs techniques pour transmettre des informations visuelles aux aveugles, à travers la conversion d’images en son en utilisant le programme the vOICe, indications par vibrations à distances en face des objets et descriptions de texte automatisées pour les images. Je travaille actuellement sur cette dernière fonction.

stefan_moisei8. Avez-vous participé à des conférences, des événements, des concours de programmation ou avez-vous obtenu certaines certifications ? Pourriez-vous nous en parler s’il vous plaît.  Nous savons que vous avez reçu une bourse Google, qu’est-ce que cela a représenté pour vous ?

J’ai participé à un hackathon à Cluj. J’ai eu un gros problème avec l’équipe et je ne trouvais pas de solutions. Vers 5 heures du matin, quand je suis arrivé à l’hôtel, avant de dormir, j’ai essayé encore une fois de trouver une solution. J’y suis arrivé du premier coup. J’en ai conclu que ce genre d’événement n’était pas fait pour moi, le bruit diminue mon efficacité.

Pour un programmeur, Google est une sorte de Saint Graal. Ils ont les meilleurs professionnels, les meilleurs salaires, l’atmosphère de travail la plus détendue et le plus d’aménagements.

Les discussions avec les gens de là-bas ont été très intéressantes, elles m’ont permis de voir comment ils travaillaient chez Google, le dévouement à la qualité, non pas à la vitesse, aux nouvelles technologies.

Ironie du sort, mon mentor était un user expérience designer, mais tout était utile, parce que j’avais alors un projet complexe et ses conseils sur le design m’ont aidé.

9. Comment travaillez-vous face à d’autres programmeurs, vos collègues ? Quelles sont les différences ? Décrivez nous un peu la façon dont vous travaillez sur un ordinateur ?

Tout ce qu’une personne normale voit sur un écran, moi je l’entends dans mon casque grâce à un lecteur d’écran qui utilise une voix artificielle: http://www.freedomscientific.com.

Il me lit les touches sur lesquelles j’appuie, le ou les éléments sélectionnés, ou, à ma demande, toute autre information. J’ai mémorisé le clavier. Ce qui me manque, c’est la vue d’ensemble de l’écran. Certaines techniques ont été développées pour compenser cela, comme sauter entre les titres, les liens, les tableaux, les listes, etc. ou la lecture sélective du texte en fonction de la couleur ou des caractéristiques (gras, italique, etc.).

De la même façon, probablement aussi pour compenser la vue d’ensemble, je lis très rapidement. La voix est réglée sur 1 037,5 mots minute.

Tout n’est pas si parfait que ça, beaucoup d’applications et de sites Internet sont inaccessibles. Généralement cela se produit lorsque l’information est transmise par des images sans fournir une alternative texte ou lorsque les contrôles ne sont pas accessibles à partir du clavier.

10. Avez-vous eu un projet que vous avez préféré ?

Je crois que là ou je me suis senti le mieux, c’est quand j’ai programmé La Guerre des Esprits, parce que j’ai eu beaucoup d’idées de départ sur les modalités de fonctionnement et la responsabilité de développer l’ensemble du back-end.

11. J’aborderai un peu le sujet TEDx. C’était comment ? De quoi leur avez-vous parlé ?

TEDx a été phénoménale. Mon discours a été accueilli beaucoup plus chaleureusement que prévu, peut-être parce que j’ai fait beaucoup de blagues et j’ai transmis une attitude optimiste. A travers mon histoire de vie, j’ai essayé de faire connaître les compétences des personnes handicapées afin d’aider leur intégration mais également de montrer que certaines choses semblent impossibles, mais à y regarder de plus près, elles ne le sont pas. Coïncidence ou non, je remarque déjà une certaine amélioration …

12. Quels sont les principes qui vous guident dans la vie ?

J’essaie de faire ce que j’aime, de travailler efficacement. J’aime les solutions intelligentes qui permettent d’économiser du temps et des ressources. De me distraire le plus possible sans que cela affecte ma vie professionnelle. J’essaye d’interagir avec le plus de personnes possible, je considère qu’il est possible d’apprendre quelque chose de la majorité d’entre eux, que ce soit utile ou drôle.

13. Que faites de votre temps libre ?

Je crois que je lis la plupart du temps. Pour moi, la lecture remplace un film. Je regarde des films seulement avec des personnes voyantes, parce que je ne peux pas comprendre l’action de certaines scènes muettes.

Je joue au bowling, peut-être pas avec la même performance que ceux qui voient, mais cela n’est pas le but.

Je pratique le jujitsu, j’ai obtenu le titre de champion national de kata (armé), au championnat pour les personnes handicapées en mai 2015.

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14. Que voulez-vous de plus ? Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Me développer professionnellement, j’ai l’intention de m’impliquer dans le développement intégré « embedded » (projet avec Raspberry Pi).

Socialement, je vais continuer à promouvoir l’intégration des personnes handicapées et peut-être que je vais développer quelques applications qui nous aideraient.

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